PHILOSOPHIE
DEVENIR MÈRE
Jean Marie DELASSUS, Médecin, Philosophe, Ecrivain
EN PAYS LOINTAIN
LA MATERNITE EST UN LONG VOYAGE qui commence trés loin de soi, au plus profond du corps.
Tout débute en effet dans ce pays perdu qu'on appelle le corps. C'est là-bas que les choses prennent forme, à une distance inimaginable de soi mais qui va peu à peu se réduire. Car on retourne au corps, ou plutôt c'est lui qui revient, qui redevient sensible et qui se trouve comme rendu après une longue absence tout juste entrecoupée par les moments d'amour.
On réalise difficilement combien le corps s'était éloigné. la raison est qu'on juge mal le corps. On pense qu'il est peu de chose par rapport à soi, par rapport à ce que nous disons être moi, par rapport à l'idée que nous avons de nous-mêmes et de notre existence. En général, on demande au corps que de bien se tenir, de ne pas tomber malade, de nous porter sans failles et dans la mesure du possible, d'être beau, de susciter le regard et l'envie, le plaisir et l'amour. On aime avoir un beau corps et un corps solide. On veut le corps comme un serviteur et comme une habitation : c'est là que nous habitons.
RETOUR AU CORPS
On ne peut pas se passer du corps, mais on peut trés bien oublier de le reconnaître pour ce qu'il est. C'est l'esprit, le responsable de tout. On est fier de l'esprit, de sa volonté, d'être un individu défini par des idées, des projets, des actes. A ce point que le corps pourrait vite déranger s'il venait à se mettre en travers du chemin. le corps doit obéir, être toujours prêt et même quand on s'endort, quand on lui confie la fuite dans le sommeil, il doit être souple et chaud comme un grand manteau de silence dans lequel on s'enroule.
Le corps est un pays perdu. L'intérieur du corps. On est au-dehors de son corps et on le voit du dehors. on ne sait plus imaginer un seul moment ce qu'il est au-dedans, ce qu'il est en tant qu'un dedans. L'anatomie a détruit le corps. On connait l'emplacement des organes et les mécanismes de leurs fonctions. On a la carte du corps et son mode d'emploi. Mais on manque de vette vue globale, plus réelle, qui permettrait de voir ce que le corps est en secret, de voir cet ensemble qu'il forme, comment il est trapu et mobile à la fois, au point de constituer à lui seul un autre monde.
Le corps est un monde intérieur. Nous sommes tellement dans l'extérieur qu'on néglige l'intérieur, délaissant le corps de notre vie, la masse de chair et de sang battant où elle se trouve sa source. On se dit même que le corps ne vaut pas grand chose puisqu'il va finir et être cause de notre mort. C'est la faute du corps si un jour on disparait. Au fond, le corps est méprisé et on lui en veut. Le corps est comme une mère qui finirait par abandonner son enfant et qui serait responsable de sa mort.
On ne croit pas si bien dire : le corps est effectivement comme une mère. Il est la première mère car, avant d'être à soi, il est aussi ce que dans quoi nous naissons.
Nous naissons dans ce pays lointain qu'est devenu le corps. Nous ne naissons pas dehors comme un oeuf ou une larve abandonnés au temps et au vent, exposés aux prédateurs, jetés aux hasards de la vie et de la mort ; nous naissons précieusement à l'intérieur d'un autre corps, un corps maternel et d'autant plus maternel qu'il est celui de notre mère. On commence l'amour avec sa mère en étant dans son corps. Le corps est un lieu d'amour tout de suite. C'est ce que l'esprit ne sait pas voir. Il ne voit que ce qui l'interesse, ses ambitions. L'esprit ne dait pas aimer. Il faudrait lui réapprendre à aimer. Il comprendrait alors que c'est vraiment d'un pays trés lointain que nous venons.
Jean Marie DELASSUS
a créé le premier service de maternologie
en 1987, il publié aussi le Sens de la maternité
et la Nature du bébé.